ROSEWATER: Xéno-Fiction Fortéenne

Je viens de terminer la lecture de ROSEWATER, un roman de science fiction passionnant écrit par Tade Thompson, publié l’année dernière (en anglais). C’est un livre captivant, et je le recommande vivement.

Dans un futur proche (2066): un mystérieux “bio-dôme”, d’origine extraterrestre, occupe le centre de la ville de Rosewater au Nigeria. Il est entouré d’une barrière que personne ne peut franchir. Une fois par an, une petite ouverture ou “pore” apparaît sur la surface et les gens aux alentours du dôme sont guéris de leurs maladies (un bon résultat) ou ils sont “reconstruits” autrement que sous forme humaine (généralement un mauvais résultat).

Contenu: mystères, espionnage, secrets, violence, sexe virtuel “alien”, amour romantique, êtres angéliques ou quasi-divins. Des humains devenus télépathes grâce à une infection fongique peuvent accéder à la noosphère composée des pensées, des affects, et des images de tous les êtres sentients (on pourrait dire de toutes les “âmes noétiques”) de l’univers.

ROSEWATER synthétise de multiples influences et tropes science-fictionnels, transformés par un style “weird” (imaginez STALKER raconté par China Miéville). Le récit concerne une invasion extraterrestre accomplie par des moyens écologiques ayant lieu dans un décor post-post-cyberpunk. Deux romans récents auquel on pourrait le comparer sont  SWEET DREAMS par Tricia Sullivan et ANNIHILATION par Jeff VanderMeer.

ROSEWATER se lit (provisiorement du moins, puisqu’il y aura une suite), comme une version “eucatastrophique” d’ANNIHILATION. Il est raconté dans un style en apparence plus simple et direct, mais qui néanmoins atteint le même niveau de complexité.

La “xenosphère” (le monde des pensées,ou monde noétique) dans ROSEWATER rappelle le monde des rêves (qu’on pourrait appeler “l’oneirosphère”) qui figure comme élément central dans SWEET DREAMS de Tricia Sullivan. Il s’agit d’un monde virtuel composé des rêves cybernétiquement assistés d’une humanité de plus en plus dépendante des réseaux et des technologies numériques.

Dans les deux cas, les humains commencent à avoir accès à un domaine virtuel noétique (xénosphère, oneirosphère) auprès duquel notre réalité virtuelle contemporaine semble une caricature  manipulatrice.

La narration fait alterner des chapitres dont le récit est situé dans le présent et d’autres racontant ses origines. On assiste à la découverte par notre protagoniste Kaaro de sa capacité à utiliser les pensées de son entourage pour trouver des objets perdus et de pouvoir voler impunément. On le voit devenir un voleur, se faire prendre, trouver un mentor, se faire attraper par une agence gouvernementale mystérieuse (S45 ou “section quarante-cinq”) qui l’embauche et le forme comme agent secret télépathique. La plus grande partie de cette histoire a lieu en 2055.

Dans le présent de l’histoire (2066) on découvre que quelqu’un ou quelque chose est en train d’assassiner tous les télépathes comme Kaaro, y compris ses anciens camarades formés comme lui par la S45. Sa lutte pour survivre et sa quête pour apprendre ce qui se passe et pourquoi occupent ce deuxième fil narratif.

Thématiquement, le roman est plus complexe qu’il ne semble à première vue. Ses grands thèmes (l’incertitude et la découverte, la duplicité et la confiance, l’identité et l’altérité, l’émerveillement et la trahison, l’égoïsme et l’empathie, l’angoisse et l’amour) donnent de la profondeur au roman. L’histoire est celle de l’individuation du protagoniste Kaaro, qui progresse du cynisme égoïste d’un voleur amoral privé d’empathie jusqu’à l’amour, à l’engagement dans une cause plus vaste que lui, et à une forme (limitée) d’altruisme.