RETOUR SUR TITAN: cinquante nuances d’émerveillement

“Retour sur Titan”, écrit par Stephen Baxter, est une nouvelle publiée dans la collection Une Heure Lumière aux éditions Le Bélial. retour-sur-titan

L’action de “Retour sur Titan” (résumé ici) se déroule dans l’univers du cycle des Xeelees, mais l’histoire est autonome, compréhensible par tout le monde, sans avoir besoin de connaître les détails de l’histoire de cet univers ou de sa chronologie.

Cette nouvelle n’est pas le premier récit publié par Baxter dans l’univers des Xeelees, cet honneur appartient à “The Xeelee Flower”, publié en 1987, mais qui se situe dans une époque ultérieure, en l’an 4922. En revanche, la nouvelle “Retour sur Titan” a été publiée pour la première fois en 2010, tandis que son histoire se passe en 3685.

La chronologie interne des événements du Xeeleevers ne suit pas l’ordre de publication des récits. Néanmoins, nous n’avons pas besoin de maîtriser cette complexité pour lire cette nouvelle, qui se passe plus de mille ans avant que les humains ne découvrent l’existence des Xeelees.

Dans la publication originelle, chaque chapitre avait un sous-titre, qui sont omis dans les publications ultérieures. Pour apporter un supplément de clarté, je les reproduis ici:

Prologue – Sonde, I – Port-Terre, II – Finances, III – Négociation, IV – Trou de vers, V – Titan, VI – Alunage, VII – Surface, VIII – Lac, IX – Gondole, X – Araignées, XI – Volcan, XII – Océan, XIII – Trappe, XIV – Virtuel, XV – Résolution, XVI – Ascension, Épilogue – Sonde.

L’approche de Baxter dans “Retour sur Titan” est celle de la Hard SF, mais ici il se montre capable de mobiliser d’autres sciences dures que la seule cosmologie physique, qui est au premier plan du récit dans “Artefacts” (que nous avons discuté ici). On a la technologie des sondes spatiales, celle des trous de vers, celle de fabriquer (et éditer!) des copies numériques des personnalités des humains vivants. Mais tout ceci est présenté comme les acquis banals du progrès, sans véritable description ou explication dans la nouvelle.

L’aspect Hard SF se trouve dans les chapitres concernant l’approche à Titan, la traversée de l’atmosphère, l’alunissage, l’exploration de la surface, la descente sous la surface, et le retour. La narration détaille les découvertes et les hypothèses qui jalonnent le chemin.

Les descriptions détaillées et raisonnées, combinant le familier (par exemple une plage) et l’étrange (le “sable” est composé de grains d’eau glacée à une dureté extrême, “l’océan” noir est composé d’éthane liquide), nous donnent l’impression de provenir du rapport d’un témoin oculaire. Nos héros découvrent des formes de vie non seulement carbonées (comme la nôtre) mais aussi silaniques et ammoniacales.

Nous avons un festival de sciences dures: physique et chimie des exo-atmosphères et des exo-géologies, biochimie des exo-biologies, écologie des exo-biosphères.

Pour les amoureux de la  physique théorique, nous apprenons un peu plus sur le voyage à travers les trous de vers, sur les axes du temps non-isomorphes, et aussi sur les univers de poche.

Je trouvais l’histoire un peu lente au début, même si l’intrigue au niveau humain débute in medias res. La descente progressive jusqu’à la surface de la planète et ensuite dans ses profondeurs amène une complexité croissante dans le niveau des sciences impliquées.

La psychologie des personnages aussi évolue. Ce sont d’abord des stéréotypes simples: le financier sans vergogne, l’ingénieur pragmatique et amoral, des scientifiques passionnés et arrogants, le fonctionnaire corrompu et cynique. Au fur et à mesure de la descente et de la remontée leurs personnalités se montrent plus complexes.

C’est une lecture passionnante, malgré une petite lenteur au début. L’aspect Hard SF n’en fait pas une nouvelle “cérébrale”, c’est surtout la richesse et l’étrangeté des perceptions qui dominent dans la plus grande partie, celle de la descente et de l’exploration. Le sens de l’émerveillement est décliné de façon différent pour chaque étape du voyage et pour chaque science mobilisée. Et derrière ce récit on sent tout un univers, toute une histoire cosmique dont cette exploration n’est qu’un fragment. On a envie d’explorer plus loin.

On peut aussi lire:

Retour sur Titan – Stephen Baxter

Retour sur Titan – Stephen Baxter

Retour sur Titan – Stephen Baxter

Retour sur Titan – Stephen Baxter | OmbreBones (wordpress.com)

UNSPEAKING YOUR MIND: meta-documentary and creative process in THE PRISONER

In My Mind

This DVD contains an amazing documentary film by director Chris Rodley on THE PRISONER, that opens up our perception of the series to new understanding. It is a mature film-maker’s study (2017) of a flawed documentary (1983) on the making and meaning of THE PRISONER (1967-68) filmed by his much younger self, an exploration of the conception and filming of the series.

The half-hour long interview with Patrick McGoohan alone is worth the price. It gives us priceles insights into his creative process and his own ideas on the symbolism of the various elements and aspects of the series.

A long interview with McGoohan’s daughter gives her rationale for participating in this project, which is also the raison d’être of the documentary: to say at least some of what McGoohan couldn’t or wouldn’t say.

McGoohan was extremely dissatisfied with the original documentary (entitled SIX INTO ONE, 1984) and even offered to “buy it back”! It was screened only once, and McGoohan demanded that it never be shown again.

Was McGoohan’s fear that it would detract from the the viewer’s experience and ongoing interpretation of a work of art that should speak for itself, or did he feel that in his initial impulse to give the inside story he had revealed “too much” about the series in his mind?

This new (meta-)documentary does not at all detract from our experience, but enriches it enormously. It is essential viewing for any fan of THE PRISONER.

PENSER AVEC LES BRANES: revue d’Artefacts par Stephen Baxter

Obelisk

“Artefacts” est une nouvelle écrite par Stephen Baxter et publié dans son recueil OBELISK (pas encore traduit en français). De par la problématique posée et les savoirs mobilisés pour y répondre, elle appartient aux genres de la science fiction dure (Hard SF) et de la “philo-fiction”.

Les “branes” du titre de cette revue, plus particulièrement les D-branes ou des branes de Dirichlet, sont des univers comme le nôtre, mais n’ayant pas forcément les mêmes propriétés. Ces univers sont des personnages importants dans la nouvelle commenté ici.

Le récit commence et termine avec un “nageur” en train de nager et tout en se posant des questions métaphysiques, notamment “pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?” Au début de l’histoire, en prologue, on ne connaît pas l’identité ou la nature du nageur, c’est seulement à la fin, en coda, qu’on apprend que c’est une entité poly-cosmique, méta-dimensionnelle.

L’histoire proprement dite commence tout de suite après le prologue, avec Morag, une jeune fille de 15 ans et son père, Joe, âgé de 45 ans. Nous sommes en juin 2026, dans un hôpital à Édimbourg et la mère de Morag vient de mourir d’un cancer. Nous allons suivre la réaction de Joe à cet événement traumatique jusqu’à sa mort à l’âge de 75 ans, en 2056. A part Joe et Morag et le nageur, il y a deux autres personnages, qui eux aussi se posent les questions fondamentales l’existence et de sa cessation. Ces deux êtres vivent dans des univers très différents du nôtre, et ils ne sont pas humains. Néanmoins ils partagent la même quête que Joe.

Étrangement, l’histoire ne répondra pas à la question initiale (pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?) mais y substitue une autre question: “La vie. La mort. La finitude de tout ça”. En fait, face à la mort de son épouse, Joe, chercheur en cosmologie théorique, se pose la question: pourquoi doit-on mourir? C’est la question non pas de la finitude en générale, mais de la finitude temporelle, de notre finitude et de celle de notre univers (et de sa mort entropique inévitable).

Joe ne semble pas avoir de grandes connaissances en métaphysique, donc il va mobiliser ces connaissances scientifiques, en particulaire en cosmologie branaire, pour répondre à sa question, pourquoi mourons-nous?. Il  cherche des preuves empiriques de l’existence d’autres branes (d’autres univers) que la nôtre et de leurs interactions. Il arrive à une typologie de branes:

1) des branes statiques, sans axe temporel, dont toutes les dimensions sont spatiales, des “fragments d’éternité”. Je propose de les appeler des branes “parménidéenne”. (Pour le philosophe présocratique Parménide l’univers est un bloc éternel et inchangeant).

2) des branes dynamiques, ayant un axe temporel et une flèche de temps irréversible. Je propose de les appeler des branes “héraclitéenne” (Pour le philosophe présocratique Héraclite tout est flux).

Il est important de noter que notre première question (pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?) se pose dans les deux types d’univers, alors que la deuxième question (pourquoi mourons-nous?) ne se pose que dans un univers de type 2. C’est pour cette raison qu’à la fin de la nouvelle nous avons une réponse possible à la question 2, mais que la question 1 se trouve reposée par le nageur.

L’approche de Joe est parménidéenne. Il présuppose que les branes statiques, éternelles, sont supérieures aux branes dynamiques, et la réponse qu’il trouve à sa question reflète cette présupposition. Puisque selon lui toute brane est de principe éternel, un événement catastrophique a dû intervenir pour basculer une des dimensions spatiales en dimension temporelle. Joe trouve des preuves physiques de cette “chute” gnostique dans le temps.

Joe semble oublier que sans le temps il ne serait jamais né et n’aurait jamais rencontré sa femme, il n’aurait jamais eu d’enfant, la vie aurait été impossible. Malgré sa mention de la naissance Joe se concentre beaucoup plus sur la question de la mort, de l’entropie et de la fin de l’univers.

Si son approche avait été héraclitéenne, s’il avait mis plus d’accent sur la question de la nouveauté, de la néguentropie, et de la création, Joe aurait mobilisé d’autres savoirs et il aurait peut-être trouvé d’autres réponses. Sa TOE (theory of everything) est incomplète et unilatérale.

Le nageur méta-cosmique ne sait pas non plus les réponses aux questions ultimes. La nouvelle commence et termine par des questions.

J’espère avoir montré qu’on n’a pas besoin de tout comprendre des théories scientifiques mise ne jeu pour comprendre et prendre plaisir à la lecture de cette nouvelle. Elle opère sur tant de niveaux à la fois qu’on va forcément y trouver de la nourriture émotionnelle et intellectuelle. Évidemment si on a de bonnes connaissances en cosmologie branaire on va encore plus de plaisir, mais tout ce qu’il faut savoir est expliqué dans la nouvelle elle-même, et on peut consulter quelques pages de Wikipédia pour approfondir ces sujets.

En conclusion, c’est une nouvelle passionnante qui nous donne un aperçu magistral de l’œuvre de Stephen Baxter et de ce que c’est la Hard SF et de ce qu’elle peut accomplir. Elle met en scène, ancrés dans un drame humain, les rapports qui peuvent exister entre le questionnement philosophique et la recherche scientifique.

Note: j’ai été inspiré de lire et de commenter cette nouvelle à la lecture de la revue qui se trouve sur le blog Le culte d’Apophis.

VEGETAL REMEMBRANCES: Nine Last Days on Planet Earth by Daryl Gregory

Proustian becoming-plantNine Last Days

This novelette covers a lot of ground, from 1975 to 2062, in such a short space (42 pages). It depicts nine moments in the life of the main character, LT, starting from when he was a young boy (10 years old) and finishing when he is a great-grandfather (97).

At ten he observes a massive meteor shower, that seems to have been an alien “invasion” of an unusual type (Earth is bombarded by alien seeds). At ninety-seven he has an overview of his life and of the changes effected both by the “invasion” and by our efforts to cope with it.

The story adeptly knits together the changes in his life over eighty-seven years and the progressive transformations that the invasion produces in the world. The main theme is the passage of time, and the difficulty of apprehending processes outside our ordinary attention span, such as major ecological changes operating over decades (one can think of global warming).

The narrator tells us that incremental change is hard to see: as in the planet’s ecology, so in our personal lives.