ROSSIGNOL (6): Conclusion

Pour finir, je voudrais parler de ce qui manque dans cette nouvelle. On peut déjà pressentir ces manques en lisant le paragraphe final de la quatrième de couverture, qui parle des courants politiques rivaux qui traversent la station (les Fusionnistes et les Spéciens, les divergentistes et les hybridiens, les convergentistes et les puristes):

"Au milieu de ces courants qu'elle ne maîtrise pas, une femme, stationnienne insignifiante, va devoir choisir son camp, et par là même, peut-être, peser sur le devenir de la station et sa myriade d’habitants".

Premièrement, c'est vrai que le devenir s'engage et s'intensifie peut-être dans la solitude physique, ou dans une solitude psychique, parce qu'on est différent, mais le devenir s'enchaîne avec d'autres devenirs - comme ici avec le devenir de la station et de ses habitants (il n'y a pas de mono-devenir).

Deuxièmement, c'est une femme "insignifiante". Elle est insignifiante peut-être du point de vue socio-économique. Il est vrai que si on veut parler de manque, F. ne parle pas du tout d'argent. Par exemple, pour visiter les "Jardins de Triah" on peut penser que ça coûte quelque chose. En règle générale on ne sait pas d'où vient l'argent, ni combien coûte les choses, ni comment F. arrive à faire tout ce qu'elle fait avec son amie quand elle est jeune.

Troisièmement, on sait qu'il y a les paramètres sacrés qui régulent l'environnement pour le rendre bio-compatible avec chaque espèce qui est présente dans un lieu, mais on ne sait rien de l'organisation politique, comment les décisions sont prises et implémentées.

Est-ce que ce silence sur la gestion de la station est dû à un oubli de l'autrice?, un trou dans le worldbuilding, ou est-ce que ça vient des contraintes de la forme courte de la nouvelle? Ou, très plausiblement, est-ce que ça reflète le fait que F. ne sait pas tout, qu'elle est d'un niveau presque prolétaire? Elle ne sait pas comment l'économie et le système politique fonctionnent, et elle n'en a pas besoin. Tout marche à peu près bien, et ce n'est pas intéressant ou pertinent pour elle d'en savoir plus.

Une autre chose qui "manque", c'est que même jeune F. ne va jamais à l'école. On ne voit pas qu'il y ait des écoles, peut-être on n'en a pas besoin sur la station, peut-être elle peut apprendre seule à la maison ou avec des amis, mais il n'y a aucune indication de comment elle apprend ce qu'elle sait. On dirait que c'est la rue qui est son école. Ce sont les leçons de la rue qu'elle retient, peut-être elle allait à l'école et elle n'en parle pas parce que ce n'est pas intéressant à ses yeux. C'est un sentiment que beaucoup de gens peuvent avoir après avoir atteint un certain âge ou un certain niveau de maturité, que ce n'est pas l'école qui a compté dans leur vie. Si l'école n'agit pas comme un ascenseur social ou comme une préparation pour une carrière prestigieuse, ce qui compte c'est les gens qu'on a fréquentés qui parfois nous ont appris des choses mémorables, y compris des connaissances savantes, mais surtout la sagesse de la vie. On verra qu'elle rencontre deux ou trois personnes qui sont des influences importantes, qui la poussent à réfléchir.

En lisant cette mémoire, on ne remarque pas de sentiment de l'importance de l'école, de l'économie, ou de la structure politique. Certes, F. est consciente des différends entre les Spéciens et les Fusionnistes, mais est-ce qu'elle sait très bien les articuler? ou est-ce que c'est simplement qu'elle voit qu'il y a des attitudes d'ouverture et de générosité d'un côté et des attitudes de repli et de mépris de l'autre?

Sans trop connaître les théories qui viennent à l'appui de ces petites gentillesses ou petites vexations de la vie, F. va jouer un rôle important qui se passe dans la station, dans le devenir de la station.

En conclusion, je n'ai traité que les deux premiers paragraphes et un bout du troisième, mais j'espère avoir donné une vision synoptique des thèmes et des potentialités de ROSSIGNOL, et avoir fait sentir la densité de construction et le plaisir à le lire.

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