ROSSIGNOL (4): solitude ambivalente, sortir de l’humain trop humain

En suivant le fil de l’incipit, on a l’enfance portée, la solitude, l’exploration de la station – pendant les deux premières pages (pages 12 et 13). Ensuite il y a une coupure en haut de la page 13, et on est au milieu de l’action qui définit la ligne narrative du récit que F veut raconter, et qui redéfinit ce qu’on vient de lire et qui va émerger régulièrement comme des flash-back, des souvenirs de l’enfance menant progressivement à sa situation actuelle. On va suivre l’entrecoupement entre les deux lignes temporelles: le chemin jusqu’à l’action prédominante de la nouvelle alternant avec des épisodes de cette action qui se déroule au présent.

Donc là elle est enfermée dans le froid, le noir, et le silence:

“Il y a le froid, il y a le noir et il y a le silence. Ils sont ma solitude. … Dans l’étroitesse de ma cachette, je m’apaise en me rappelant que mon corps est plus étroit encore et qu’il contient tout ce qui est nécessaire à être moi”.

C’est un tout petit espace, on ne peut pas s’étaler, et on ne voit rien. Donc normalement, vu ce qu’on a dit dans le premier paragraphe, ça devrait être une expérience très négative. Elle est dans une cachette, on verra plus tard, elle est en danger, mais l’expérience n’est pas entièrement négative. Elle nous dit:

“Sur le dos, les yeux grands ouverts, j’imagine un plafond que je ne vois pas, et souris en pensant aux moqueries de certains stationniens s’ils découvraient cette Humania qui s’acharne à utiliser un sens qui ne fonctionne pas, qui n’apporte rien”.

“moqueries de certains stationniens” – peut-être d’autres espèces verraient même dans le noir, parce qu’il y aurait de la lumière ultra violet ou infra-rouge, ou ils auraient un sens qui fonctionne dans l’absence de lumière (comme pour la chauve-souris), par écholocation. C’est un peu comme le “on” dont le verdict est cité dans le deuxième paragraphe de la nouvelle. Elle aurait pu dire “on”, elle aurait pu dire “on rirait à mon effort d’utiliser des sens qui ne fonctionnent pas”. C’est le “on” des verdicts négatifs, ceux qui ne comprennent rien de la puissance de l’imagination.

“cette Humania qui s’acharne à utiliser un sens qui ne fonctionne pas” – F, même seule dans sa cachette obscure, essaie de repousser les limites de son corps et de ses sens. On rirait de son manque d’options pour distinguer ce plafond. L’humain est limité, l’humain n’a pas tous les sens que les autres espèces peuvent avoir, mais en fait chaque espèce est limitée par sa physiologie et sa psychologie. On verra que sa copine Lou’Ny’Ha va être jalouse, envieuse, un tout petit peu, parce que F peut sentir l’odeur du chaud et elle, comme les autres de son espèce (les ‘Ha) ne peuvent pas ressentir le chaud.

“Ils rirait de mon manque d’options pour distinguer ce plafond et ne comprendraient pas la poésie qu’il y a à se l’imaginer les yeux écarquillés dans le noir” – F est là dans la peur, elle est enfermée dans le noir et elle découvre au moins un acte de poésie, un acte de l’imagination: essayer d’imaginer le plafond quand ne le voit pas, non seulement l’imaginer tel qu’il est mais s’imaginer en train de voir le plafond quand on est allongé dans dans le noir.

Donc, si on prend toute l’évolution parcourue dans la nouvelle, la solitude est ambivalente, ayant au moins deux valeurs. L’humanité, non plus, n’est une valeur sûre et univoque – on peut sortir des limites de l’humain par les rencontres et par l’imagination.

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